Traditionnellement, il est d’usage de faire une distinction entre les entrepreneurs exerçant leur activité sous forme individuelle et ceux ayant recours à l’interposition d’une société.
Dans le premier cas, et ce jusqu’à une date récente, l’entrepreneur était personnellement responsable sur l’ensemble de ses biens, quel que soit leur utilité, pour l’ensemble de ses dettes personnelles et professionnelles. Une exception avait toutefois été introduite en 2010, par la création du statut de l’EIRL, en permettant à l’entrepreneur individuel de limiter les droits des créanciers professionnels aux biens affectés par ses soins à l’exercice de son activité.
La distinction entre patrimoine privé et patrimoine professionnel reposait ainsi sur un choix effectué par l’entrepreneur lui-même et matérialisé dans un document intitulé état descriptif.
Ce régime était d’une certaine complexité, voire d’une complexité certaine, et n’a donc pas rencontré un grand succès. C’est probablement ce qui a motivé sa disparition et la création par la loi n° 2022-172 du 14 février 2022 du statut unique de l’entrepreneur individuel.
Bien qu’assez proche sur le plan des concepts du statut de l’EIRL, puisqu’il sacralise le principe d’une distinction entre patrimoine privé et patrimoine professionnel, il s’en distingue par un certain nombre d’aspects qui ne sont pas tous anodins.
En premier lieu, ce statut ne présente pas de caractère optionnel. Certes, il est possible pour l’entrepreneur individuel de renoncer à cette distinction, et notamment de conférer à un créancier professionnel des droits sur son patrimoine privé, mais cette renonciation est nécessairement limitée à un engagement déterminé.
Par ailleurs, l’étendue du patrimoine professionnel est définie par la loi comme l’ensemble des biens utiles à l’activité, en l’absence de toute décision de l’entrepreneur.
Enfin, l’une des causes du désaveu du statut de l’EIRL était la complexité des obligations comptables et fiscales, puisque tout en étant soumis à la tenue d’une comptabilité, l’entrepreneur était tenu par les règles applicables aux entrepreneurs personnes physiques, c’est dire celle d’une comptabilité dite de caisse reposant sur l’enregistrement des recettes et des dépenses.
Or, simultanément et en prévision de l’adoption du statut unique de l’entrepreneur individuel, le législateur, par le biais de l’article 13 de la loi de finances pour 2022, a introduit la possibilité pour celui-ci d’opter pour l’impôt sur les sociétés.
Parmi les avantages de cette option, les parlementaires et les commentateurs ont surtout relevé la possibilité de constituer des réserves en vue de les réinvestir dans l’entreprise sans les soumettre à l’impôt sur le revenu.
Toutefois, il nous semble qu’il faut surtout y voir un outil de gestion. En effet, un grand nombre d’entrepreneurs interrogés, notamment parmi les professions libérales, se plaignent du manque de prévisibilité de leurs revenus. Cet inconvénient est principalement dû à la complexité du système français des cotisations sociales mais surtout aux règles de détermination du revenu, qui les conduit à ne pas mesurer correctement ce dont ils disposent effectivement à la fin de l’année.
En optant pour l’impôt sur les sociétés, l’entrepreneur individuel optera de facto pour l’application des règles de la comptabilité d’engagement. Les cotisations sociales calculées sur le revenu réel de l’exercice sont provisionnées à la clôture et le résultat peut être versé sous forme de rémunération ou de dividendes au dirigeant, ou éventuellement réinvesti.
Parallèlement, les entrepreneurs conservent la possibilité d’exercer leur activité en société, EURL ou SAUSU. Les règles fiscales et sociales sont très proches de celles prévues pour les entrepreneurs individuels ayant opté pour l’impôt sur les sociétés, mais cette formule présente à notre sens une sécurité juridique accrue. En effet, l’une des difficultés identifiées du nouveau régime est la définition qui reste floue à ce stade du patrimoine professionnel de l’exploitant entendu comme celui utile à l’activité. La composition de l’actif d’une société n’est en revanche pas discutable. Quant aux coûts avancés par les commentateurs, ils sont principalement liés à la tenue d’une comptabilité commerciale, cette contrainte subsistant en cas de simple option pour l’IS, et ceux attachés aux formalités ne sont pas démesurés au regard du confort de gestion que procure l’interposition d’une société.
En résumé, si le statut unique de l’entrepreneur individuel constitue indubitablement une avancée sur le plan juridique, bien que quelques incertitudes demeurent qui pourraient être en partie levées par le décret d’application, la possibilité d’opter pour l’impôt sur les sociétés nous paraît plutôt justifier le recours à la forme sociétale.