Loi de finances pour 2024 : la modification du texte de l’article 155 A et la création du délit d’incitation à la fraude fiscale devraient inciter les praticiens du droit de la propriété industrielle à interroger plus souvent leurs confrères fiscalistes

Initialement destiné à lutter contre la création de « rent-a-star companies», c’est-à-dire de sociétés destinées à percevoir la rémunération due à titre personnel aux sportifs, artistes et mannequins notamment, l’article 155 A a été utilisé régulièrement de manière plus extensive par l’administration fiscale. C’était le cas notamment en présence de droits incorporels, marques, droits à l’image ou droits d’auteur par exemple, initialement détenus par des personnes physiques, dont la propriété a été transférée à une société hors de France, à charge pour celle-ci de les exploiter commercialement au travers de contrats de licence.

Le Conseil d’Etat, par plusieurs arrêts rendus en 2020 et 2021[1] a mis un coup d’arrêt à cette tendance en rappelant que le texte de l’article 155 A, dans sa rédaction alors en vigueur, ne visait que les rémunérations versées en contrepartie de services rendus par une personne physique, et que l’exploitation d’un actif incorporel tel qu’une marque présente un caractère passif et patrimonial et ne répond pas à cette définition.

Mais l’administration n’est pas bonne joueuse. Comme il est de plus en plus fréquemment d’usage lorsque les juridictions lui donnent tort, le gouvernement a proposé un amendement, adopté par la voie du 49-3 donc sans discussion, qui a modifié la rédaction de l’article pour étendre sa portée aux sommes perçues en contrepartie de l’exploitation de droits immatériels.

Les praticiens du droit de la propriété industrielle et intellectuelle sont les premiers sollicités par leurs clients pour rédiger les contrats de cession des droits et les licences conclus avec des sociétés interposées hors de France. Il n’est donc pas inutile qu’ils soient en mesure d’attirer leur attention sur les risques fiscaux découlant de cette réorganisation de leurs activités.

C’est d’autant plus vrai que l’article 113 de la loi a introduit à l’article 1744 du Code Général des Impôts un nouveau délit d’incitation à la fraude fiscale.

Est visée par le texte « la mise à disposition, à titre gratuit ou onéreux, d’un ou de plusieurs moyens, services, actes ou instruments juridiques, fiscaux, comptables ou financiers dans le but de permettre à un ou des tiers de se soustraire frauduleusement à l’établissement ou au paiement total ou partiel d’impôts. »

La liste de ces moyens est limitative mais inclut notamment l’interposition de personnes physiques ou morales établies à l’étranger.

La loi écarte expressément l’application de l’article L 227 du Livre des Procédures Fiscales qui fait obligation à l’administration ou au ministère public de démontrer que le contribuable s’est volontairement soustrait ou tenté de se soustraire à l’impôt.  Or si en droit pénal général, la réalisation du délit suppose que soient réunis l’élément matériel et l’élément intentionnel, on sait que ce deuxième critère est apprécié souplement par les tribunaux. Les praticiens non fiscalistes pourraient donc assez aisément se trouver en difficulté par simple méconnaissance, coupable ou non, des intentions finales de leur client.

Les sanctions prévues sont de 3 ans d’emprisonnement et 250 000 € d’amende, ainsi que des peines complémentaires telles que la privation des droits civiques, civils ou de famille, ou l’interdiction d’exercer une profession libérale ou commerciale pour les personnes physiques. L’amende est multipliée par 5 pour les personnes morales. C’est donc un sujet qui devrait inciter les juristes à demander systématiquement l’éclairage d’un fiscaliste.


[1] CE 8-6-2020, n° 418962 et 418963 ; CE 5-11-2021 n° 433 367