En raison de la crise sanitaire, Bruno LEMAIRE le 21 février puis Emmanuel Macron le 13 mars ont annoncé la mise en place d’un certain nombre de mesures destinées à permettre aux entreprises de faire face à des difficultés financières plus ou moins temporaires. Elles laissent toutefois subsister un certain nombre de questions en ce qui concerne les défaillances prévisibles de leurs clients ou partenaires commerciaux, ou le cas échéant de leurs filiales françaises ou étrangères.
En premier lieu, il n’est pas inutile de rappeler en quoi consistent les mesures d’accompagnement annoncées par le gouvernement.
Les entreprises quelle que soit leur taille pourront demander un report de leurs échéances fiscales en matière d’impôt direct exclusivement, par simple email et sans justificatif, pour une durée maximum de trois mois.
Les services fiscaux sont également appelés à renoncer à appliquer les pénalités et intérêts de retard en cas de déclaration tardive, voir éventuellement à consentir au cas par cas à des remises d’impôt direct, lorsque les difficultés ne peuvent être surmontées par un simple report.
En ce qui concerne les contrôles fiscaux, aucune nouvelle vérification ne devrait être initiée, ni aucun acte de procédure effectué, tel que l’envoi d’une notification ou d’un avis de mise en recouvrement, pour une durée précisée, et sous réserve des contraintes résultant des délais légaux. Il n’est probablement pas inutile toutefois d’échanger avec le vérificateur à ce sujet.
Par ailleurs, celui-ci est susceptible d’adresser par mail à l’entreprise des demandes de documents ou d’entretien téléphonique mais il est alors possible de lui répondre que celle-ci ne peut y donner suite.
Ces ouvertures sont appréciables mais notre expérience des crises précédentes, au premier rang desquelles celle des Gilets Jaunes, nous permettent de penser que des divergences de positions pourraient exister quant à l’évaluation des difficultés rencontrées par l’entreprise.
Par ailleurs, en ce qui concerne les problématiques soulevées par la défaillance des co-contractants, on peut tout d’abord s’arrêter sur la recommandation du gouvernement de s’acquitter du prix de prestations qui n’ont pu être rendues du fait des mesures sanitaires mises en place, ou de difficultés propres à l’entreprise, au titre du devoir de solidarité.
En effet, la solidarité n’est pas une valeur très appréciée du droit fiscal. Ainsi, les conditions contractuelles prévoient généralement que l’absence de réalisation de la prestation est une circonstance justifiant le non-paiement du prix. Pour éviter que la déduction de la charge soit refusée par un vérificateur sur le fondement de l’acte anormal de gestion, il faudra alors démontrer que cette bienveillance répondait à l’intérêt de l’entreprise en préservant par exemple ses relations commerciales avec un partenaire significatif.
En second lieu, la question se pose des conditions dans lesquelles les entreprises pourront déduire fiscalement les provisions pour créances douteuses sur des clients eux-mêmes en grande difficulté, et surtout au titre de quel exercice.
Sur le principe même de la déduction, il n’est pas inutile de rappeler que si le risque de non recouvrement doit être probable, la jurisprudence et en principe l’administration fiscale n’exigent pas que des poursuites aient été initiées pour permettre la déduction de la provision, ni a fortiori que la société soit en état de cessation des paiements. En revanche, l’administration a également précisé que la perspective d’une crise économique donnant à penser que certains clients pourront peut-être éprouver des difficultés pour s’acquitter de leur dette ne saurait justifier de la constitution d’une provision pour créances douteuses. Il nous paraît donc de bonne pratique de recommander aux entreprises de faire formaliser par leurs clients les difficultés rencontrées.
Sur l’exercice de constitution de la provision, un certain nombre d’entreprises n’ont pas encore arrêté leurs comptes et le droit comptable leur impose a priori de comptabiliser dans les comptes de l’exercice 2019, les conséquences des évènements post-clôture. Or, le droit fiscal ne suit pas la même logique. Compte-tenu de la situation sanitaire au 31 décembre 2019, rappelons que le virus est apparu en Chine principalement au cours de ce même mois de décembre, les provisions constatées en comptabilité au titre de 2019 risquent fort de ne pas être déductibles.
En ce qui concerne les difficultés rencontrées par les filiales, la déduction des aides qui leur seront consenties suppose qu’elles soient principalement motivées par un intérêt commercial direct, ou que la filiale fasse l’objet d’une procédure de sauvegarde, de redressement, de conciliation ou de liquidation. Ainsi, le simple fait qu’une filiale constitue une source de débouchés, même importante, pour une de ses sœurs n’entraînera pas ipso facto la possibilité pour la société mère de déduire l’aide financière consentie. Ces commentaires pessimistes sont toutefois atténués par la décision du conseil d’état du 7 février 2018 dont il ressort que des services rendus par une holding, par hypothèse animatrice, peuvent constituer un intérêt commercial.
En conclusion, même si le gouvernement apparaît comme sincère, et d’ailleurs aurait-il d’autre choix, dans sa volonté d’aider fiscalement les entreprises dans ce contexte de crise sanitaire, il serait souhaitable que des consignes claires de bienveillance soient données à terme aux services vérificateurs.